Mgr Dosseh, archevêque de Lomé
Par Comi TOULABOR
Mgr Dosseh, l’archevêque de Lomé, est cité parmi ces personnalités publiques à l’égard desquelles les Togolais nourrissent une grande rancœur. Précédé de la popularité de son frère Alex qui avait composé l’hymne national, il jouissait pourtant à son sacre, en juin 1962, d’un fort courant de sympathie, étant non seulement le premier évêque togolais, mais encore l’un des plus jeunes prélats africains (il avait 37 ans à l’époque). Et sa participation au Concile Vatican II, à Rome, avait contribué à décupler son prestige et sa notoriété, lesquels restèrent pratiquement inaltérés jusqu’au début des années soixante-dix. Pour comprendre ce prélat très controversé, on retiendra de la « rumeur » quelques facettes de sa personnalité.
MGR DOSSEH : UN EVEQUE REVECHE ET AUTORITAIRE
Mgr Dosseh est doublement prince et il en est hautement conscient. D’abord, il est prince par le sang du fait de ses ascendants fondateurs et éponymes du village Anyronkopé, situé à 35 km à l’est de Lomé. Ensuite, il est prince de l’église(1). S’il rappelle volontiers ce dernier titre (« L’évêque est un prince de 1’Eglise » ou « L’épiscopat est la plénitude du sacerdoce »), il n’a certainement pas oublié son ascendance princière dont il a conservé les traces dans son patronyme officiel, Dosseh-Anyron, et qu’il lui arrive d’évoquer devant ses hôtes qui semblent l’ignorer. A ce prince de sang, son père catéchiste, rigoriste et très traditionaliste, a fermement inculqué les notions d’autorité et de discipline, dans la pure tradition de l’Eglise de Pie XII.
En faisant du Togo une province ecclésiastique confiée à Mgr Dosseh, archevêque métropolitain, Rome a institué un système quasi féodal. Si l’évêque suffragant est chef de son diocèse et dépend directement du Vatican, il est aussi subordonné à l’évêque métropolitain qui peut dès lors intervenir dans ses affaires. Mgr Dosseh s’est montré très jaloux de sa puissance, autant que de ses prérogatives. Ainsi, il semble s’être opposé à la création de trois nouveaux diocèses voulue par le Vatican, avoir refusé la nomination à ses côtés d’un évêque coadjuteur ou même d’un évêque auxiliaire, et s’être efforcé d’empêcher la nomination comme évêques d’autres diocèses de personnalités susceptibles de lui porter ombrage (comme, par exemple, lors du remplacement de Mgr Hanrion, évêque de Dapaon, ou de Mgr Atakpa, évêque d’Atakpamé). Son autorité s’affirme notamment par le contrôle des finances de l’Eglise, à commencer par la gestion de l’aide extérieure. Maître absolu dans son diocèse, il n’a pratiquement pas en face de lui de structures de participation des fidèles, ou du clergé, à la gestion des affaires diocésaines. Est mis à mal le droit canonique qui stipule que doivent exister dans chaque diocèse des organes consultatifs (un Conseil pastoral diocésain regroupant responsables religieux et laïcs éminents, un Presbytérium ne réunissant que les prêtres diocésains) et un organe exécutif (le Conseil épiscopal). Ainsi, la réparation de l’orgue de la cathédrale qui a coûté 10 millions de f.CFA, la construction du Grand séminaire de Lomé, les préparatifs en vue d’accueillir le Pape Jean-Paul II en août 1985 et d’autres décisions importantes qui engagent la vie diocésaine ont totalement échappé à ces différentes instances. De même, Mgr Dosseh a tenu à ce que le Grand séminaire de Lomé soit, non pas interdiocésain comme il avait été prévu, mais diocésain, afin d’éviter : qu’il ne soit cogéré par les évêques suffragants; et il a contré la création d’une section diocésaine de la Fraternité nationale des prêtres du Togo, chargée de représenter et de défendre les intérêts du clergé. L’archevêque métropolitain a bâti au sein du clergé togolais une hiérarchie, aussi artificielle que curieuse, en instituant un « haut clergé » composé d’une minorité de prêtres formés à Rome et/ou nantis de diplômes universitaires. Ils forment la catégorie des prêtres « intellectuels » et jouissent du respect et de la considération de l’évêque. En bas de la hiérarchie, se situe un « bas clergé » constitué de la masse de ceux qui ont fait leurs études supérieures dans un Grand séminaire africain : Anyama en Côte-d’Ivoire, Koumi au Burkina-Faso, Ouidah au Bénin, et bien sûr, Lomé qui vient s’y ajouter depuis quelques années. Tenus en piètre considération par leur évêque, ils forment le prolétariat – voire le lumpenprolétariat – du corps clérical. Ils sont souvent confinés dans
des paroisses reculées, livrés à eux-mêmes ou au prince qui les mute et les permute selon son bon vouloir, sans trop se soucier de leurs conditions de vie et de travail. Par exemple, le père Dravie (haut clergé) est depuis son ordination, il y a plus de 25 ans, curé inamovible de la richissime paroisse Saint Augustin d’ Amoutivé à Lomé, tandis que le père Aziamblé (bas clergé) aura connu près de cinq mutations dans des paroisses rurales pauvres en un peu plus de dix ans de prêtrise. Comme si le titre universitaire ou le séjour en Europe constituait un critère capital pour l’exercice du sacerdoce (il est vrai que le clergé est tout aussi atteint de « diplômite » que l’élite politique), les membres du haut clergé sont généralement affectés aux importantes paroisses de l’intérieur du pays ou à celles, plus avantageuses encore, de Lomé et de sa banlieue, tandis que le bas clergé se voit quasi systématiquement relégué dans les zones rurales du Togo profond.
Le style personnel de Mgr Dosseh, dans ses rapports quotidiens avec son clergé, est très contesté. I1 morigène, menace, intimide, insulte à tout propos et parfois publiquement. Le père Kokouvi ou le père Missodey en ont par exemple fait l’amère expérience, le premier pour avoir réclamé le versement de la rente à laquelle il estimait avoir droit, le second pour avoir demandé des éclaircissements sur l’attribution de bourses d’études. On dit même que l’archevêque n’hésiterait pas à faire allusion aux pouvoirs qui seraient les siens. Pouvoirs de « réconciliation en paroles et en œuvres, par la puissance des signes et des prodiges », que lui a conférés le cérémonial du sacre, selon le Pontifical romain (2). Pouvoirs plus occultes aussi, qu’il détiendrait en tant que prince de sang, originaire du village Anyrokopé renommé en matière de vodu et de magie noire : les quartiers croient voir en Mgr Dosseh un bon manipulateur de « poison »… Mais Mgr Dosseh, Robert de son prénom chrétien (du latin « robur », la force), et grand admirateur de Bossuet à qui il a consacré sa thèse de théologie et dont il imite à l’occasion l’art oratoire, a pris comme prénom « authentique », en 1974, celui de Tonyui, ce qui veut dire « le bon Père ». I1 préfère d’ailleurs maintenant se faire appeler « Papa », plutôt que « Son Excellence », comme le faisaient dans les années soixante les élèves du Collège Saint-Joseph ou les petits séminaristes de Saint-Pierre-Claver.
LES FINANCES DE PAPA TONYUI
Des quatre diocèses du Togo, Lomé est de très loin le plus prospère ; sa richesse dépasserait celle des trois autres réunis, mettant Mgr Dosseh, par ailleurs archevêque métropolitain, en position de force. S’il nous est extrêmement difficile de connaître la surface financière de l’Église togolaise chiffres en main, cela l’est encore plus en ce qui concerne le diocèse de Lomé, où règne depuis 1962, en maître absolu, le chancelier diocésain Agbabou. I1 semble que Mgr Dosseh n’aurait lui-même qu’une vague idée des finances de son diocèse, mettant toute sa confiance en ce dernier. Selon nos informations, l’on peut distinguer entre les ressources officielles et les ressources clandestines, les deux étant au demeurant très imbriquées :
1) Les sources officielles :
a) Subventions annuelles versées par le Vatican au diocèse. Ainsi, selon les chiffres officiels, pour l’année 1987-1988, Rome a octroyé à Lomé une somme totale de 328 540 dollars se répartissant ainsi :
– subvention ordinaire 40 000
– D.C.I.C. 5000
– U.N.D .A. (audiovisuel) 11 500
– U.H.D.A./Afrique francophone 8 000
– une session liturgique diocésaine 5 000
– subvention ordinaire : Petit séminaire 51 000
– subvention ordinaire : Grand séminaire 79 200
– construction du Grand séminaire 50 000
– assurance sociale pour 86 prêtres 4 300
– pour 45 novices hommes 13 500
– pour 29 novices femmes 8 700
– subvention ordinaire pour l’Oeuvre Enfance
missionnaire 7000
Outre ces dotations ordinaires, il peut y avoir des subventions exceptionnelles : le voyage du Pape au Togo par exemple. Ce qui peut entraîner un gonflement sensible des dotations d’une année sur l’autre.
b) Subventions de l’État à l’enseignement catholique : celles-ci, détournées par l’homme de Dieu à d’autres fins dans les premières années du pouvoir Eyadema, ne sont plus directement versées en espèces. Mais l’Etat recrute et paie sur son budget des enseignants qualifiés qu’il affecte ensuite à l’enseignement catholique. Ainsi l’Etat se prémunit contre de futurs détournements et peut prétendre lutter contre la dégradation de cet enseignement, dont les responsables religieux embauchent du personnel peu qualifié et sous-payé.
c) Dons : ils sont importants et proviennent principalement de l’extérieur, notamment d’Allemagne fédérale. Pour des raisons historiques et affectives, l’Église catholique allemande apporte un soutien financier substantiel à son homologue togolaise à travers des organismes caritatifs comme Caritas et Miva. Mgr Dosseh lui-même entretient des réseaux collecteurs de fonds en Allemagne par l’intermédiaire des anciens missionnaires allemands tels que le père Anton Klug, qui a été pendant longtemps le curé de Porto Seguro, ou l’Alsacien Albert Stephen, ordonné par Mgr Dosseh, ancien vicaire de Togoville et exerçant aujourd’hui dans une paroisse allemande.
Chaque année, ce dernier débarque à Lomé avec plus d’un million de f.CFA dans ses valises pour Mgr Dosseh. D’autre part, le prélat de Lomé utilise abondamment les services du prêtre togolais, Steven Sosoé, qu’il envoie recueillir des fonds à Gensheim, un petit village du sud de l’Allemagne, où il a été ordonné.
Mgr Dosseh, qui finit par être connu dans cette localité, n’hésite pas à s’y rendre pour faire aboutir ses doléances. Ainsi, la paroisse de Gensheim lui fournit les fonds nécessaires pour l’achat de cyclomoteurs et de voitures qu’il sollicitait pour faciliter les déplacements de ses prêtres. Mais, s’estimant grugé, le curé de Gensheim mit avec habileté un terme au rapport qui le liait à notre archevêque. Celui-ci se tourna alors vers l’archevêque de Munich, le Dr Wetter, ami commun de Franz-Josef Strauss et d’Eyadéma. Mais c’est aux Etats-Unis et surtout au Canada que Mgr Dosseh s’adresse de plus en plus, utilisant le père Cyrille Kété qui y a fait ses études. Enfin, il faut évoquer l’effort de Carême de 1’Eglise de France et surtout la fameuse aide « missio-prime » allemande, par laquelle l’ensemble des prêtres allemands subventionnent leurs
homologues togolais démunis : en 1986, le diocèse de Lomé a reçu à lui seul 11 400 000 f.CFA, à distribuer théoriquement à ses 120 prêtres autochtones.
A ces dons extérieurs, il faut ajouter des dons de source intérieure, qui sont le fait de quelques richissimes pratiquants au rang desquels on trouve les incontournables revendeuses de tissus, très influentes à l’archevêché et dans les comités paroissiaux de Lomé.
Le donateur togolais, qui est généralement une femme, préfère aux actions régulières et anonymes des organismes caritatifs allemands des dons ponctuels et spectaculaires qui seront portés à la connaissance de tous à l’occasion de plusieurs messes dominicales. Ces dons peuvent être matériels (sacs de riz ou de maïs pour les séminaristes, voire matériaux de construction) mais aussi en espèces, allant de sommes très modiques jusqu’à plusieurs millions de f.CFA. Ainsi, par exemple, Ave Maria, une opulente revendeuse de tissus, donna 10 millions de f. CFA pour accueillir Jean-Paul II. C’est à ce jour la plus importante libéralité jamais effectuée par un donateur autochtone.
d) Ecolage et baux commerciaux. Les établissements d’enseignement scolaire et professionnel et les locaux commerciaux jouxtant la cathédrale située au cœur même du quartier des affaires (tout un symbole !) sont de grands pourvoyeurs de fonds du diocèse de Lomé doté depuis l’époque coloniale allemande d’un patrimoine foncier et d’une infrastructure immobilière importante que lui envie l’Etat. Pour avoir une idée des ressources que peuvent drainer baux commerciaux et écolages, il faut savoir que Mgr Dosseh peut demander, à tout moment et ce au mépris de toute règle de gestion élémentaire, des sommes d’argent allant jusqu’à 2 millions de f.CFA à tout chef d’établissement scolaire.
e) Honoraires de messes et de cérémonies religieuses, quêtes ordinaires ou par compétition, denier du culte, kermesses, mois de rosaire et effort de Carême doivent également être mentionnés.
2) Les sources clandestines
a) Commerce : Mgr Dosseh s’est lancé très tôt dans les affaires afin de subvenir, disait-il en 1964 aux petits séminaristes de Saint-Pierre Claver, aux besoins matériels de son diocèse. C’est ainsi que, fort de cette intention louable, il créa un élevage florissant de lapins dans les environs de l’aéroport de Lomé. Dopé par la réussite inespérée de sa lapinerie, le fonctionnaire de Dieu, au fil des années, diversifia ses activités comme, par exemple, le commerce de produits « exotiques » pour alimenter son magasin à Paris, servant ainsi de modèle, au début des années soixante-dix, à la classe dirigeante dans sa spéculation de produits vivriers (3). Sans que rien de bien précis ne les étaye, des rumeurs mêlent son nom aux trafics des pierres précieuses, de la drogue et des ossements humains dont Lomé est devenue une des plaques tournantes en Afrique de l’Ouest, et ont entraîné des contrôles serrés de la part de la police et des services des douanes.
Quand Mgr Dosseh détourne les subventions de l’Etat, ce n’est pas forcément à des fins personnelles, lesquelles se confondent d’ailleurs avec celles de Dieu dont il est le ministre; il lui arrive, même si une fois n’est pas coutume, de faire des placements rentables pour l’avancement de l’œuvre divine. Ainsi, lorsqu’il utilisa, en 1968-1969, l’argent du Diable (les subventions de l’Etat), en le confiant à une vingtaine de commerçantes catholiques qui s’en allèrent en Hollande, en Grande-Bretagne et au Japon acheter du tissu-pagne pour le revendre avec de gros bénéfices, à la satisfaction des deux parties (mais pas à celle des enseignants de l’école catholique qui ne trouvèrent pas sur leur fiche de paie les augmentations substantielles annoncées à la radio par le chef de l’État et qui se mirent en grève).
b) Spéculations financières s’apparentant parfois au prêt usurier.
Le patrimoine du diocèse s’élèverait à plusieurs milliards de f.CFA, dont il tirerait au moins 15 à 20 millions pour constituer son budget annuel, si tant est que soit tenu un budget. Au-delà de toute estimation hasardeuse, on peut se demander à quoi l’argent de Dieu est employé. Pour répondre à la question, il faut avoir à l’esprit que la charité bien ordonnée commence par soi-même.
MGR DOSSEH : UN EVEQUE TRIBALISTE ET NEPOTISTE ?
Les sommes importantes drainées par Mgr Dosseh ne servent pas à rétribuer décemment ses prêtres qui ne touchent chacun que 5 000 f. CFA mensuels, et encore de façon irrégulière, car le chancelier Agbabou oublie souvent de les leur verser. Le prêtre togolais vit difficilement; il doit parfois se trouver de généreuses bienfaitrices pour survivre. Par ailleurs, la construction de nouveaux édifices religieux ou d’établissements scolaires et l’entretien des plus anciens bâtiments constituent le cadet des soucis épiscopaux de Papa-le-bon-père. De même en est-il de la catéchèse, de la pastorale, de la liturgie et du laïcat, découragés dans toute initiative novatrice. Le Père Alexis Oliger, dans un reportage récent sur l’Église du Togo, écrit fort justement : « Malheureusement ce laïcat n’a pas toujours été soutenu par la hiérarchie, notamment celle du Sud, et connaît aujourd’hui un certain engourdissement ». Et l’ancien missionnaire de poursuivre :
« Comme les autorités du pays, la hiérarchie, du moins en partie, est plus préoccupée de prestige personnel que du sauci des besoins réels des pauvres du pays qui, pourtant, travaillent dur pour survivre. Beaucoup d’argent a été gaspille‘ ailleurs, ou n’est pas arrivé à destination des projets prévus et financés par divers organismes. Autre fait préoccupant : après des années d‘un laïcat vivant et engagé, l’Eglise, surtout dans le Sud du pays, a repris le chemin d’une religiosité qui risque d’être désincarnée: congrégations pieuses, processions et manifestations religieuses triomphalistes, fêtes fastueuses de jubilés qui durent des semaines et des mois, pour lesquelles on ‘’pompe” les gens, alors que s’infiltrent toutes sortes de doctrines et de sectes, que la moralité se dégrade, que la délinquance augmente en ville. »
Fastes et fêtes ne sont que la partie émergée de la gestion Dosseh-Agbabou des finances du diocèse. Hypothèse plus préoccupante, on peut se demander si la cagnotte de celui-ci ne sert pas aussi à financer une « machine » tribale ou familiale.
D’abord, les collaborateurs de Mgr Dosseh sont presque tous originaires de Tsévié ou de sa région, faubourg situé à 30 km au nord de Lomé, où il avait exercé son sacerdoce avant son sacre épiscopal. Parmi ceux qui ont une certaine influence, on compte le chancelier cadastral, l’abbé Touvi, le directeur du Collège Saint-Joseph, l’abbé Victor Kossivi Adjamagbo, les abbés Tossou et Sokpa, tous du « haut-clergé » et, bien sûr, l’inamovible chancelier Agbabou, dont le père aurait jadis sacrifié des vaches pour favoriser la nomination de l’abbé Dosseh comme évêque. Mgr Dosseh, qui peste souvent contre le fait de n’avoir aucun prêtre issu de son village natal, Anyrokopé, empêtré dans le vodu, doit se contenter de ses collaborateurs de Tsévié sur lesquels il a opéré un transfert affectif.
Ensuite, la famille Dosseh-Anyron semble bénéficier elle-même de la manne de Dieu. Une importante colonie Dosseh vit en France, un CEG a été construit à Anyrokopé – un village d’un demi-millier d’habitants -, une belle villa a été réservée aux parents de l’archevêque à Vogan et Luc Dosseh paraît être l’architecte attitré du diocèse.
MGR DOSSEH ET LE PRESIDENT EYADEMA
La personnalité de Mgr Dosseh a terni le prestige dont l’Église jouissait. D’autant que l’archevêque, de compromis en compromissions, a manqué bien des occasions d’affirmer l’indépendance de l’Eglise face au pouvoir politique.
Lorsqu’en 1975 quelques-uns de ses prêtres (Dovi, Kouto et Amouzou) émirent des doutes sur la politique de l’authenticité prônée par le pouvoir et furent conduits au camp militaire de Tokoin, Mgr Dosseh, loin d‘assurer leur défense, se mit dans la toge de Ponce Pilate en les abandonnant aux griffes du pouvoir (l’abbé Amouzou sera fessé devant son évêque !(4)) Dans la foulée, Mgr Dosseh adopta lui-même un prénom «authentique ».
En 1976, lors de la succession de Mgr Atakpa, évêque d’Atakpamé, réticent à l’égard du régime, le général Eyadéma s’efforça d’imposer le choix de l’abbé Bléwusi; ce fut en définitive l’abbé Kpodzro qui fut élevé à la dignité épiscopale. La veille du sacre, le 1er mai, un défilé de travailleurs aux ordres du pouvoir saccagea les préparatifs de la cérémonie. Celle-ci fut alors déplacée à Lomé, en l’église d’Amoutivé, où elle put avoir lieu comme prévu le 2 mai grâce à une extraordinaire mobilisation des fidèles et au soutien matériel des nana-benz. Au moment de la consécration – mais sans empêcher le sacre lui-même, quoi qu’en dise la propagande du régime – une escouade de militaires, dirigée par le capitaine Kao-Kao, fit irruption et se livra à la profanation, au vandalisme, à la violence tandis qu’une manifestation, sur la parvis, réclamait la désignation comme évêque de l’abbé Blewussi…et le mariage des prêtres !
Mgr Dosseh ne jugea pas utile de condamner publiquement ces actes, ni le projet d’expédition punitive contre le clergé de Lomé prévue pour la nuit du 23 au 24 mai 1976 et éventée in extremis.
En réalité, le prélat, à l’instar de certains prêtres vodu, fait partie de l’establishment religieux du régime, qui lui a d’ailleurs envoyé ses bataillons d’ « animateurs » en signe de « condoléances et d’amitié fraternelle » pour accompagner dans sa dernière demeure la dépouille mortelle de son père, en septembre 1975. Il se rend à l’aéroport de Lomé pour accueillir les personnalités étrangères, il célèbre des offices lors des nombreuses fêtes que le pouvoir affectionne ; à l’occasion, il compare le président au Christ. La rumeur veut même qu’il ait fourni au général Eyadéma une soutane et une voiture pour qu’il échappe aux assaillants de 1986 ! vrai ou faux, il n’est pas de meilleure symbole de l’alliance du sabre et du goupillon dans le Togo contemporain. Et dans cette alliance, l’argent a son rôle.
Par Comi M. Toulabor
Publié dans Politique africaine, N° 35 Octobre 1989
Notes
1-En fait, les princes de l’Eglise sont les cardinaux. Mais Mgr Dosseh, qui a le titre canonique d’archevêque métropolitain et qui a longtemps ambitionné le titre de cardinal, finit par se considérer comme tel.
2-Sacre d’un Evêque selon le Pontifical romain, avec notes de traduction, Desclée et cie 1933
3- Cf. C.M. Toulabor, Le Togo sous Eyadéma, Paris, Karthala, 1986, p.259.
4- Cf M. Ossou, « Le Togo », Courrier de l’ACCT, n° 77, juil-août 1987,p.3
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